Eleveuse de bouquetins en vue!

Comme à son habitude, Pygaer s'était levé de bonne heure et consultait les différents rapports qui lui avaient été transmis de bonne heure. Comme toujours il s'agissait de documents assez inquiétants, relatifs à la situation aux alentours d'Annecy. Manifestement l'animosité de la Confédération helvétique avait repris le dessus et ses armées, à la tête desquelles une ancienne connaissance de Pygaer menait la "danse", menaçaient une nouvelle fois la ville d'Annecy. Tout à son étude des plans et des cartes, il n'avait pas entendu l'arrivée de son fidèle garde. Ce dernier, tout essoufflé de la course qu'il venait d'accomplir entra sans autre forme de procès et l'aborda d'une voix haletante

"Herr Pygaer...pff pff...ch'ai un messach pour fous...pff pff...une tame fous attent tans le chardin"?, eut-il juste le temps de dire avant de s'affaler sur une chaise qui grinça sous son poids

"Une femme dis-tu? Dans le jardin? Tu la connais ? Comment s'appelle-t'elle? A quoi ressemble-y-t'elle? Allons Thorwald réponds, mon ami"

Pressé par le nombre de questions, Thorwald répondit tant bien que mal et lorsqu'il annonça le nom de Lisa Luserna de Chenot, Pygaer sentit un drôle de sentiment lui tenailler les entrailles
"Ainsi elle est tout de même venue, il n'y a pas à dire, elle a du cran se dit-il tout bas.

Après avoir renvoyé Thorwald, Pygaer délaissa plans et cartes et se dépêcha de sortir dans les jardins à la recherche de sa visiteuse...Cherchant au niveau des roseraies puis des glaïeuls, il se mit à croire que son garde avait affabulé lorsqu'au tournant d'un carré de fleurs, il aperçut une silhouette assise sur le rebord du bassin situé en plein milieu des jardins. Un instant il s'arrêta pour contempler l'image qui s'offrait à lui. Lui tournant le dos, la jeune damoiselle semblait rêvasser, perdue dans ses rêves

Pygaer, en chasseur confirmé, en profita pour approcher doucement, ne perdant pas de vue la jeune fille. Elle semblait si jeune, si innocente, assise-là, son regard perdu dans le vague. Ses longs cheveux blonds étaient la proie d'une brise coquine qui s'amusait à passer et repasser dans ceux-ci

Pygaer ne put s'empêcher de faire la comparaison avec une autre femme blonde qui avait comblé ses jours....Il secoua la tête, pour chasser ses souvenirs et s'approcha davantage.

Arrivé à quelque mètres de la jeune femme, il sortit des taillis et s'avançant toujours derrière elle, il lui dit d'une voix aussi douce que possible:

"Hé bien, hé bien jeune fille, ne savez-vous point qu'il est dangereux de se promener seule dans un endroit qui ne vous est pas familier ??"

Il se mit à rire doucement, espérant ne pas avoir fait peur à la jeune dame puis après qu'elle lui ait fait face, il s'inclina profondément devant elle et tout en lui prenant la main pour lui faire un baise-main, il lui dit:

"Soyez la bienvenue chère Damoiselle Lisa, votre présence au sein de ces jardins fait pâlir de jalousie la plus belle de nos roses et frappe d'étonnement tout être vivant parmi nos fleurs".

Relevant le buste, tout en gardant la main dans la sienne, il lui fit un énorme sourire afin de la rassurer et attendit sa réponse.

Le bout de ses doigts caressant doucement l’eau pour y faire naitre des ondes s’évadant jusqu’à l’autre bout du bassin où elles disparaissaient contre le muret de pierre. Elle rêvassait oui, ses pensées voguant au fil de ces petites vagues lui rappelant à cet instant d’autre plus grosses qu’elle avait découvert lors de voyages maritimes il y a quelques années de cela. Si proche à l’échelle d’une vie et pourtant c’était une époque révolue.

Toute à ses souvenirs , elle ne put réprimer un léger sursaut quand soudain une voix vint doucement troubler le silence qui l’entourait.

"Hé bien, hé bien jeune fille, ne savez-vous point qu'il est dangereux de se promener seule dans un endroit qui ne vous est pas familier ??"

Un léger sourire naquit sur ses lèvres en reconnaissant la voix et légèrement troublée par la surprise à moins que ce ne soit pas la présence soudain de celui qu’elle était venue voir … allez savoir, elle se retourna vers lui.

Voyons … si je ne m’abuse, l’on m’a dit que dans ce domaine je serais à l’abri ! Son sourire s’agrandit , m’aurait on menti ?

Les yeux un peu taquins ne quittaient pas le visage de Pygaer alors qu’il la saluait d’un baise-main. Légèrement frémissante, elle laissa sa main dans la sienne.

Je vous remercie pour ce compliment … mais je crains que vous n’ayez perdu le sens des réalités à l’avoir trop sous vos yeux! ce jardin est magnifique! Les fleurs embaument, les oiseaux vous y bercent de leur chant mélodieux, ce bassin vous invite à réflexion, et j’ai vu non loin un banc qui n’attends qu’un visiteur à plonger dans une reposante méditation..

Disant cela son regard avec parcouru le jardin avec un plaisir évident avant de revenir à aux yeux de son hôte.

Vous avez une fort belle demeure , en tout cas ces extérieurs! Je vous remercie de l'invitation.

La réponse de la jeune femme l'avait légèrement décontenancé, vu la rapidité avec laquelle elle avait fusé. Cela dénotait de sa part un sens de la répartie assez exacerbé. Pygaer se rendit compte que malgré son jeune âge, cette jeune femme avait déjà fait l'expérience du monde et de ses vissiscitudes. Cela ne fit que renforcer la sympathie qu'il avait développé pour elle.

Avec un énorme sourire il lui avait répondu qu'elle avait parfaitement raison quant à sa sécurité. Tout le monde au sein du domaine - du plus simple paysan au plus expérimenté des soldats de la garde - se mettrait en quatre pour protéger tout visiteur et toute personne qui avait acquis sa confiance.

Après l'avoir assuré une nouvelle fois que le jardin et le domaine ne pouvaient qu'être bonifiés par la présence de sa charmante visiteuse, Pygaer, rendant à regret la main à sa propriétaire, allait lui proposer de l'accompagner dans sa visite des lieux, lorsque la jeune femme lui parla une nouvelle fois

"Vous avez une fort belle demeure , en tout cas ces extérieurs! Je vous remercie de l'invitation.". Cette phrase fort sybilline emplit Pygaer d'un sentiment de fierté et c'est avec un léger trémolo dans la voix qu'il lui proposa de visiter les jardins en question. Sans attendre la réponse, de peur peut être qu'elle refuserait, il prit délicatement la main de Lisa et la posa sur son avant-bras. Sans autre forme de procès, il lui fit visiter les différentes roseraies, les carrés de glaieuls qui en cette fin d'été, embaumaient de leur parfum l'air environnant.

Pour la première fois de sa vie, Pygaer eut le sentiment que ses jardins, que d'aucuns considéraient comme immenses, étaient trop petits. Lors de leur promenade, il se surprit à lancer de fréquents regards en biais sur la jeune femme, s'extasiant dans son for intérieur lorsque le vent jouait avec les longs cheveux. Il eut également l'occasion de contempler son profil qu'il trouvait à chaque fois un peu plus charmant...

Une idée pourtant se fit lentement jour dans son esprit... Il était évident qu'il était très intéressé par la jeune femme, que sa présence auprès de lui l'emplissait d'un sentiment qu'il avait cru disparu depuis longtemps... Mais ce sentiment était immédiatement suivi par une petite voix qui lui disait

"Dis donc toi, tu as près de 40 ans. Elle doit en avoir 20 tout au plus... Au vu de sa beauté, elle doit avoir quantité de prétendants donc inutile de croire que tu as une chance avec elle..."

Pygaer n'avait cure de cette voix insidieuse et tout au long de leur promenade se comporta comme tout homme noble se devait de se comporter vis-à-vis d'une jeune femme. En outre, il tentait ainsi de redorer le blason de sa famille au vu de la fâcheuse histoire qu'elle avait déjà vécu avec un autre membre de la famille... Ainsi, au cours de la randonnée, il se montra prévenant, galant, il répondit à toutes les questions par un sourire et eut la secrète envie que cette promenade soit éternelle

Hélas, trois fois hélas, tout sur terre a une fin et Pygaer eut beau passer et repasser plusieurs fois devant certains parterres de fleurs, il n'en est pas moins vrai que la visite touchait à sa fin...Jetant un coup d'oeil au cadran solaire qui ornait la façade interne de la cour, il se rendit compte que la journée était déjà bien entamée et que le soleil  - le vrai - aurait bientôt rendez-vous avec son zénith.

Arrivé à l'escalier donnant accès aux bâtiments, Pygaer s'arrêta, se tourna vers sa jeune visiteuse et lui dit:

"Voila, chère Lisa, la visite des modestes jardins est terminée. Je vous remercie de les avoir aggrémentés par votre gentillesse et votre beauté naturelle...Si j'osais.." dit-il tout en sentant une légère rougeur empourprer son visage "Je disais donc si j'osais, je vous demanderais si vous seriez d'accord de partager un léger repas en ma compagnie. L'heure poussant déjà vers la mi-journée, je suppose qu'une jeune fille telle que vous doit commencer à sentir la faim la tenailler et je vous assure que vous me feriez un véritable honneur de partager mon repas. Si tant est bien sûr que vous le vouliez"

Patiemment, ne se départissant pas de son sourire, il attendit la réponse de sa visiteuse...tout en priant dans son for intérieur qu'elle acquiesce.
Pour l'inciter tout de même à dire oui, il lui dit doucement

"Pour être honnête avec vous, j'avais déjà fait savoir à ma cuisinière qu'il était possible que nous serions deux au repas ce midi...J'ose espérer que vous ne me ferez pas passer pour un menteurlui dit-il doucement en faisant une mimique de chien battu tout en papillonnant des yeux

"Si d'aventure, vous seriez d'accord de m'accorder cette faveur, je vous saurais gré de me suivre à la salle à manger"

La voix posée de son hôte la rassurait bien plus que le fond de ses paroles. Avant de venir elle avait discuté de cette visite avec messire Pierre, ce protecteur, un peu comme un père qu’elle avait si peu connu et qui lui avait tant manqué en grandissant. Il l’avait rassuré et c’est donc avec confiance qu’elle s’était présentée. Bien entendu elle resterait toujours un peu sur ses gardes, la vie lui ayant démontrée bien trop souvent que les apparences étaient souvent trompeuses.
Mais en cet instant, elle se sentait apaisée. L’ambiance du jardin, la présence de cet homme, la main dans la sienne, probablement le mélange des trois qui faisait cet effet.
Quand la main quitta justement la sienne, elle ne put qu’en être déçue même si elle tentait en son fort intérieur de s’en défendre.
L’invitation qui suivit, à visiter en sa présence le jardin, lui rendit le sourire et ses yeux pétillèrent de plaisir. Les joues légèrement rosées quand à nouveau le contact se fit avec cette main glissée sous le bras masculin.

Elle commentait les remarques de son compagnon transformé en guide jardinier pour l’occasion, se penchant parfois pour sentir le parfum d’un fleur plus attirante qu’une autre ou sur l’indication de Pygaer. Le lieu était entêtant, lui rappelait ces moments qu’elle chérissait quand elle allait se poser dans la roseraie au château de Luserne ou au bord de la rivière dans sa montagne, son ouvrage à la main ou un livre emprunté dans la bibliothèque de ses cousines de Chenot.
Parfois, elle sentait le regard de Pygaer se poser sur elle, son coeur faisait alors un bond incontrôlable et son esprit la réprimandait.
"Voyons Lisa! ne soit pas sotte , pourquoi un homme tel que lui s’intéresserait à ton insignifiante personne! "

Mais l’instant était trop charmant pour se poser tant de question. Elle savoura celui ci simplement, profitant de chaque instant , parcequ’elle se sentait bien en cet endroit et en sa présence. Elle aurait bien le temps d’y songer plus tard et de se faire des noeuds au cerveau en se posant mille questions.

Elle en avait perdu le fil du temps alors quand ils s’arrêtèrent devant l’escalier, elle lui lança un regard perdu quand il annonça la fin de la visite.
Mais je ne veux pas! eut elle envie de s’exclamer, elle ne dit rien pour autant, elle savait que cela ne se faisait pas et pour une fois les leçons de maintien que souvent elle oubliait , la retinrent dans son élan.
Fort heureusement, il prolongea son discourt d’une autre invitation et c’est alors qu’elle réalisa qu’effectivement elle était affamée. Le petit déjeuner était loin et la chevauchée pour venir en ce lieu plus la promenade au grand air avait creusé son appétit.

Elle lui rendit son sourire, ne pouvant s’empêcher d’irradier de joie quand elle répondit.

Je suis ravie que vous osiez ! la promenade m’a effectivement ouvert l’appétit et je serais fort marie de vous faire passer pour un menteur !

Pressant légèrement la main sur son bras qu’elle n’avait pas quitté , elle rajouta en le regardant en coin.

Et j’aurais été fort triste de vous quit… bafouille un peu, de quitter votre domaine sans en avoir vu un aperçu de l’intérieur de la bâtisse.

Rougissante, elle le suivit dans la salle à manger.